Nouvelle : Strip-tease

Simon serra la main de son client, le sourire jusqu'aux oreilles. Décidément, il adorait Paris. Peut-être était-ce l'atmosphère de la capitale, mais il pensait que la ville lui portait chance. Il faut dire que, bien qu'il se déplaçât souvent à l'étranger pour son travail, il ne décrochait pas souvent des contrats de plusieurs millions. Et pas deux, ou trois, non ! Huit millions d'euros, dont cinq pourcents allaient lui revenir, au titre de sa commission de vendeur. Certes, sa société produisait d'excellents effets spéciaux pour le cinéma, mais la concurrence était rude.

Il ne rentrait sur Londres que le lendemain matin, il avait donc toute la soirée pour lui. Simon avait une passion, comme un rituel : Il voulait visiter tous les cabarets, toutes les boîtes osées, dans toutes les villes où il était amené à voyager. Oh, pas tous à la fois, bien entendu ! Mais il voulait en voir le plus possible. Il prit donc le métro, et se dirigea vers la butte Montmartre.

Il y flana toute l'après-midi, empruntant les ruelles, explorant les boutiques, passa rapidement par le Sacré-Coeur pour y brûler un cierge, et finalement s'assit sur un banc pour regarder le soleil se coucher. Il opta pour un dîner rapide, constitué d'un sandwich grec, et reprit sa liste des endroits intéressants. Il avait bien évidemment commencé par les plus célèbres, le Moulin Rouge, le Folies Bergere, le Lido, le Crazy Horse Saloon, et il avait également écumé une bonne partie des endroits moins connus. Mais il en restait quelques-uns qu'il n'avait pas encore essayé.

Parmi eux, un nom retint son attention : Le Caveau de Montmartre. Il s'y rendit, à pied, tantôt dans l'obscurité d'une petite ruelle, tantôt baigné des lueurs des enseignes au néon, et finit par arriver à l'adresse recherchée. Il se trouvait devant un porche en pierre, où était fixée une grille métallique, actuellement ouverte. Derrière, s'enfonçait un escalier droit, qui descendait sur quatre ou cinq mètres, avant de s'arrêter sur une porte en bois, peinte en noir, et garnie de rivets.

Les panneaux qui vantaient les spectacles s'y déroulant déclaraient fièrement "Strip-tease intégral", et des photographies suggestives de jeunes femmes au teint très clair, souvent maquillées à l'excès, et peu vêtues, illustraient cette affirmation. Le club semblait ouvert actuellement, alors autant le tester, puisqu'il était là.

Simon descendit les marches, et frappa au heurtoir. Quelques instants plus tard, à travers le judas, apparut la tête d'un homme, qui l'examina quelques secondes, avant de lui ouvrir la porte. La décoration intérieure était de style gothique, d'épais tapis rouges ou noirs au sol étouffaient les bruits, sur les murs, de vrais chandeliers, pas des imitations électriques, assuraient l'éclairage de leur flamme vacillante. Quelques portraits, peintures ou photographies, montraient des femmes en longues robes, evidemment noires, ou en sous vêtements, là encore couleur de nuit.

Il règla l'entrée, et, puisqu'il ne voyait aucun vestiaire, entreprit de continuer. Passé le palier sur lequel le portier attendait, un nouvel escalier s'enfonçait, en colimaçon, cette fois. Comme c'était le seul passage, il s'y engagea sans hésitation. L'escalier lui parut assez long, peut-être trois étages, mais il aurait été bien en peine de le dire, puisqu'il avait perdu rapidement tout sens de l'orientation, à force de tourner.

Ce n'était pas pour rien qu'il aimait Paris. Certes, la réputation de la ville n'y était pas étrangère, pas plus que le climat qui y régnait, mais c'était surtout le charme fou de ces lieux insoupçonnés, qui l'attirait. Là, il venait d'arriver dans une vaste salle, dont le plafond tenait par des voûtes en demi-cercle, reposant sur des rangées de colonnes de pierre, d'aspect ancien.

Un bar occupait un des côtés de la salle, une scène était installée contre le mur qui lui était opposé, et des tables basses, des banquettes, des fauteuils, et des canapés, étaient disposées entre les deux. Il était le premier client de la soirée, et à son entrée, une jeune femme s'approcha de lui. Elle lui annonça que le spectacle pouvait également être assuré en cabines individuelles, pour un supplément raisonnable. Après un coup d'oeil en direction du bar, où l'employé était evidemment présent et en train de le regarder, il acquiesca. Il venait de décrocher le gros lot, il n'allait pas bouder son plaisir. Oh non, pas ce soir...

Elle le mena hors de la salle, par un boyau au parois inégales, comme taillées dans la pierre, jusqu'à un embranchement, où elle prit un couloir encore plus étroit, sur quelques mètres, avant d'ouvrir une porte metallique, fixée directement dans la roche, et capitonnée pour assurer l'isolation phonique. Derrière, se trouvait une petite pièce ronde, à l'intérieur de laquelle se trouvait un lit, rond également, une zone libre qui devait servir de piste, une table basse, et trois fauteuils rembourrés, en velous noir.

Quand ils furent tous deux entrés, la femme referma la porte, et tourna la clef, avant de l'accrocher à un clou, à côté de la porte. Ils étaient maintenant seuls, et le spectacle allait pouvoir commencer. Voyant qu'il avait conservé sa veste, elle l'invita à se mettre à l'aise, à quoi il répondit "Vous d'abord", avec un sourire coquin. Elle hocha la tête d'un air entendu, et il s'installa sur un des fauteuils, pendant qu'elle commençait à se déhancher sur la piste, au son d'un slow à succès dont il fut incapable de retrouver le titre.

Lentement, elle déboutonna son chemisier noir, puis le laissa glisser le long de ses bras tendus, dans son dos, tout en continuant à danser sur le même mode, alternant les mouvements lents et sensuels avec des mouvement brusques, provoquants, tantôt lui tournant le dos, tantôt lui faisant face. Sous le chemisier, elle portait un soutien-gorge en satin noir, qui brillait même dans la lumière tamisée de la pièce. La jupe suivit le même chemin peu de temps après, dans des conditions similaires, et révèla une culotte noire, en satin elle aussi, d'une coupe simple, mais élégante.

Simon se cala un peu plus dans son fauteuil pour se préparer à la suite. Il aimait avoir son confort, et encore plus dans ces moments-là. Il comptait bien profiter de l'intimité de la salle individuelle pour tenter sa chance avec elle. Pas en payant, non, ca ne le tentait pas. Mais si il pouvait la séduire, il n'hésiterait pas. Comme en réponse à une invitation de sa part, elle se rapprocha en dansant, et entreprit bientôt de dégrafer son soutien-gorge, en vissant son regard au sien.

Il ne la quittait pas des yeux. Elle n'avait pourtant rien d'exceptionnel, elle n'était même pas aussi jolie que la plupart des filles qui travaillaient dans ces endroits-là, et pourtant... ses yeux, d'habitude blasés, étaient rivés à elle. Il la voyait évoluer, onduler, sa poitrine désormais nue semblable à une provocation, une incitation à la débauche.

Enfin, après avoir dansé encore un peu, elle fit glisser sa culotte au sol, l'arrêtant sur le bout de son pied, pour mieux l'envoyer voler d'un mouvement vif, toujours sans cesser de se déhancher. Simon s'autorisa un sourire, imaginant déja comment il lui ferait l'amour, et déja dur comme un roc.

La strip-teaseuse, de dos, continuait à danser. Elle porta soudain ses mains à son visage, semblant agripper ses machoires, comme pour les désolidariser l'une de l'autre. De son bras gauche, elle remonta, et ses cheveux commencèrent à descendre, alors que de son bras droit, elle tirait vers le bas. Simon ne s'était pas attendu au coup de la perruque, et il se demanda brièvement à quoi elle pourrait ressembler avec le crâne à nu.

Il retint son souffle quand il vit le crâne, blanc d'os, apparaître sous la perruque. La fille, elle, continuait à se dénuder, enlevant ce qui devait être une combinaison moulante et couleur de peau. Il s'en voulut de ne pas avoir remarqué plus tôt cet artifice. Il l'avait vraiment crue nue. Alors qu'elle se dénudait, il voyait apparaître le dessin des muscles, rouges et brillants, jouant à chacun de ses mouvements.

Quand elle eut fini, elle se retourna, sans jamais cesser de se mouvoir en rythme, et il dût reconnaître que la mise en scène, pour macabre qu'elle était, était une expérience interessante. Il se promit de demander à la danseuse, ou au patron, d'où venaient ces costumes au réalisme saisissant. Son érection avait disparu, mais son excitation demeurait, motivée cette fois par une curiosité toute professionelle.

Les mêmes mouvements, les mêmes poses, qui étaient tout à l'heure si érotiques, ne déclenchaient plus chez Simon qu'une sensation de malaise. Il faut dire que voir un écorché grandeur nature s'agiter devant ses yeux, même de façon lascive, ne faisait pas partie de ses fantasmes. Elle porta lentement les mains à ses épaules, pour faire glisser le costume, et écarta les fibres élastiques d'un coup, laissant tomber le tout en tas au sol.

Simon eut un haut le corps. Ce n'était pas tant le bruit humide et répugnant que cela fit, ni la vision d'un squelette en dessous, qui venaient de lui faire cet effet, même si c'était la première fois que le trompe-l'oeil était aussi bien réussi. Non, c'étaient les organes, boyaux, intestins, foie, et tout ce qui est normalement maintenu par les muscles abdominaux, qui s'écoulaient maintenant librement vers le sol.

Il en était encore à se demander comment elle avait pu maintenir autant de choses entre ses différents costumes, quand elle passa devant la lumière. Et il comprit. Un costume noir, même extrèmement bien fait, ne laissait pas passer la lumière. C'était un vrai squelette qui s'agitait devant lui, vivant, et s'approchait du fauteuil dans lequel il était assis, les yeux équarquillés, le visage figé dans une expression d'horreur indicible, et les mains aggripant les accoudoirs fermement.

Quand "elle" ne fut plus qu'à deux pas, il réussit à se maîtriser suffisament pour se lever d'un bond, et courir vers la porte. Il tenta de l'ouvrir, sans succès, et avisa alors la clef, accrochée au clou. Il lutta quelques secondes contre la serrure, tentant désespérément d'y insérer la clé, quand il sentit des phalanges décharnées se poser sur son épaule.

Sursautant, il se retourna d'un bloc, et s'adossa à la porte, contre le rembourrage. Le crâne de la danseuse était à quelques centimètres de sa tête, et ses yeux le fixaient depuis leurs orbites nues. Elle lui chuchota alors ces quelques mots : "Maintenant, à vous de vous mettre à l'aise..."

Personne n'entendit Simon hurler, ni ne retrouva jamais ses restes.

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